Stratégie & Innovation

Intrapreneuriat : de la vente de cannettes à l’innovation chez Thales

18.1.2024
7
min.
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Découvrez l'histoire qui m'a conduit de la simple vente de cannettes au lycée à l'exploration de l'intrapreneuriat, ainsi que mes réflexions sur l'innovation dans ce domaine.

Première expérience entrepreneuriale

D'aussi loin que je me souvienne, ma première aventure entrepreneuriale remonte à mon année de seconde.

Il y avait un distributeur de snacks et de canettes dans mon lycée. À l'époque, la canette coûtait 10 francs. Oui, je suis un "boomer", et oui, c'était bon marché. J'avais remarqué qu'à l'épicerie du coin, elles étaient vendues en pack de 6 canettes pour 5 francs chacune.

J'ai donc décidé d'acheter des packs à l'épicerie tous les midis et de les vendre à 7 francs dans mon lycée. Ce n'était pas une révolution, juste une petite activité d'import-export à petite échelle. Malgré tout, j'ai ressenti quelque chose de stimulant en moi, et ce n'était pas l'argent car cette entreprise s'est rapidement terminée. C'était l'idée de créer de la valeur.

Parcours professionnel et sentiment d'incomplétude

Durant la suite de mes études, il y a eu un grand manque sur ce sujet. J'ai suivi une voie préétablie qui rassurait mes parents.

Ainsi, j'ai travaillé en tant qu'ingénieur en développement logiciel et j'ai intégré un grand groupe français, THALES, pendant 12 ans. J'ai occupé différents postes tels que développeur, chef de projet, directeur de programme et chef de service.

J'enchaînais toutes les étapes tracées rapidement : à 29 ans, j'étais le plus jeune chef de service à diriger un projet de 50 personnes et un service composé de 12 ingénieurs. Cependant, je ressentais un vide à l'intérieur de moi.

De Thalès à l'entrepreneuriat

Après 10 ans, j'ai ressenti à nouveau le besoin de créer, de ressentir cette sensation grisante. J'ai donc participé à un concours interne et en 2014, j'ai lancé un projet sur le "soldat du futur" avec de l'IA et du Deep Learning, bien avant son heure. Malheureusement, j'ai échoué lamentablement. J'ai compris plus tard pourquoi.

Ensuite, avec 3 collègues, nous avons créé les TED Talks THALES, puis le premier Startup Studio interne de Thales. Plusieurs saisons, plus de 300 participants, et des projets qui ont changé la donne à l'intérieur et à l'extérieur de Thales.

Nous avons tous les quatre quitté Thales et créé CREATEROCKS, où nous avons accompagné près de 1000 apprentis intrapreneurs.

Comprendre l'innovation

Nous avons réussi à le faire car nous avions enfin compris ce que voulait dire l'innovation.

Je vais être honnête avec vous : j'ai détesté le mot "innovation". Je l'ai même haï. Combien d'entre vous ont déjà vu des publicités avec "innovation" écrit en gros partout, même sur des produits aussi simples que mon déodorant ou mon dentifrice ? Ils me narguaient avec cette inscription bien en évidence. Pourtant, jusqu'à preuve du contraire, je me brosse toujours les dents de la même manière. Evidemment, pas avec le déodorant.

Innovation vs Invention

Voici le premier problème : croire que l'innovation est égale à l'invention. C'est pourquoi on ne peut pas parler d'innovation sans citer l'IA, la blockchain, l'Industrie 4.0, le Big Data, LLM, etc.

Cela devient insupportable et cela laisse croire que :

  1. L'innovation est uniquement liée à la technologie
  2. et qu'elle est réservée à un petit groupe qui connaît toutes ces règles.

Principes contre-intuitifs de l'innovation

En 2013, j'ai visité la Foire de Paris, vous la connaissez peut-être ? C'est un énorme salon où l'on peut acheter toutes sortes de choses à Paris. Pour ma part, j'y suis allé pour acheter un canapé. Ce salon accueillait également un célèbre concours : le concours Lépine.

Je dois avouer que je déteste ce concours. Mais rassurez-vous, j'aime bien d'autres choses ! La raison de ma colère envers ce concours est qu'il célèbre les idées et les inventions sans même se soucier de leur utilité ! C'est à ce moment-là que j'ai réalisé plusieurs vérités contre-intuitives sur l'innovation. Je vais vous en présenter quelques-unes ici.

Votre idée ne vaut rien !

Le fameux gagnant du concours Lépine 2013 était une broche à barbecue classique, mais avec une roulette à chaque extrémité. De cette manière, on pouvait attraper sa merguez d'un côté et la retourner sans bouger la broche.

Magnifique, n'est-ce pas ? Du moins, pratique ? Combien en ont-ils vendu, selon vous ? Moi-même, je ne peux pas vous le dire car deux ans plus tard, ils ont arrêté la production. Vous savez pourquoi ? Parce que personne n'avait besoin de cette broche !

Une fourchette ou une broche classique font très bien le travail : cette broche ne résolvait aucun vrai problème. Or, l'innovation commence là : pour une cible précise de la population, comment votre vie s'améliore-t-elle grâce à vous ?

Quand nous avons fait comprendre cela aux futurs intrapreneurs de Thales lors des premiers ateliers que nous avons réalisés avec eux, en les éloignant de leur approche technocentrée, nous avons trouvé de bien meilleurs projets !

Créer, c'est copier

Vous connaissez cette célèbre phrase de Picasso ? "Les bons artistes copient, les grands artistes volent".

Pendant longtemps, on m'a fait croire que l'innovation consistait à créer quelque chose à partir de rien, émergeant de nulle part un beau matin, et que tout changeait ! J'étais terrorisé !!! Cela voulait dire que ce n'était pas accessible à tout le monde, qu'il fallait être un génie pour innover. Les images de la presse montrant Steve Jobs, Bill Gates, Elon Musk ou Zuckerberg ne m'aidaient pas non plus.

Puis, j'ai compris : innover, c'est observer, s'inspirer, adapter, mélanger et ajouter sa touche personnelle !

Zuckerberg n'a pas inventé les réseaux sociaux, Elon Musk n'a pas inventé les fusées ou les voitures électriques (d'ailleurs, il a racheté Tesla, il ne l'a pas créée) et Jeff Bezos encore moins le commerce électronique.

Ils les ont sublimés. D'ailleurs, pour la petite histoire, cette fameuse phrase de Picasso, il l'avait lui-même volée à un dramaturge du siècle précédent, qui l'avait lui-même volée à un poète de la fin de la Renaissance !

La plupart du temps, ça ne marche pas !

Ce fut l'une des vérités les plus difficiles à admettre : seulement 1 % des innovations sont réellement réussies et fonctionnent.

J'adore l'histoire d'Angry Birds : vous connaissez tous ce jeu où l'on lance des oiseaux sur des cochons verts sur smartphone, n'est-ce pas ? Un énorme succès !! Qui n'a jamais pensé : "Incroyable, hier ce jeu n'existait pas, et maintenant il est numéro 1 des téléchargements ! J'aurais tellement aimé l'inventer !". Combien de jeux ont-ils dû créer avant de trouver celui-là ? ... 51... 51 jeux qui ont échoué.

L'équipe fondatrice s'est retrouvée tellement ruinée qu'elle n'était plus en mesure de publier un jeu, alors elle a dessiné sur papier les modèles qui deviendront Angry Birds, les montrant à des proches. Auraient-ils pu trouver la recette secrète d'Angry Birds sans ces 51 premiers jeux ? Jamais. Mon message n'est pas de devenir acharné, mais de comprendre à quel point on apprend des erreurs, même en matière d'innovation.

Ma définition de l'innovation

J'en ai encore une dizaine de principes contre-intuitifs, mais nous en parlerons une prochaine fois, d'accord ?

Ce que j'ai finalement compris avec tout ça est résumé dans une définition que je trouve très claire sur l'innovation : "l'innovation est la mise en œuvre sociale d'une invention" : la plupart du temps nous repartons de quelque chose de technique ou technologique, oui, mais toute l’intelligence se trouve dans l’adoption du projet, sa cible et son marché. Et cela, tout le monde peut y avoir accès, c'est une question de méthode et d'état d'esprit.

Le rôle des managers intermédiaires dans l'innovation d'entreprise

Ce dernier point, le fameux droit à l'échec, nous amène au point le plus complexe de l'innovation en entreprise : les managers intermédiaires. Souvent pris entre le marteau et l'enclume, les comités exécutifs (COMEX/CODIR) ont clairement besoin d'innover. De même, les employés sur le terrain sont conscients des nombreux problèmes à résoudre.

Puis, il y a le manager intermédiaire, qui doit satisfaire tout le monde tout en respectant les coûts, les délais et la qualité sur ses projets classiques. Je connais bien ce rôle, l'ayant moi-même occupé. Cependant, il est impossible d'innover dans une entreprise sans l'engagement des managers.

La complexité des rôles managériaux dans l'innovation

Voici quelques principes de gestion que j'ai recueillis au fil des années et qui m'ont permis d'identifier ceux qui exploitent au mieux le potentiel de leurs collaborateurs tout en se valorisant eux-mêmes.

Le manager exemplaire

C'est le fameux manager qui s'engage personnellement dans l'innovation, en apprenant les méthodes et les principes contre-intuitifs dont je parlais, et qui consacre toujours un moment lors des réunions d'équipe pour en discuter. Chez Thales, nous avons accompagné un chef de service qui a donné une conférence sur la manière dont il gérait ses équipes pour stimuler leur créativité. Inutile de dire que tout le monde voulait rejoindre son équipe après cela !

Le manager leader

C'est celui qui met en avant son équipe, qui crée une communauté de "makers" au sein de son groupe, qui encourage l'action, puis valorise ses collaborateurs. C'était exactement le profil de mon manager lorsque j'ai lancé mes premiers projets intrapreneuriaux. Après plusieurs échecs, il a été récompensé lorsque l'un de mes projets a généré 7 millions.

Le manager sponsor

C'est le manager qui n'hésite pas à trouver des fonds pour cofinancer un projet ou qui trouve des ressources humaines pour aider. Il ouvre aussi des portes à des échelles auxquelles l'intrapreneur de terrain ne peut pas accéder et met en avant le projet de l'intrapreneur. Pour mes amis de chez THALES et moi, c'était André, le directeur marketing d'une des unités commerciales de Thales, qui profitait de ses passages dans les COMEX et CODIR pour parler de nos activités, ce qui nous a permis d'obtenir de la visibilité et d'agir.

En résumé

Le manager joue un rôle clé dans la structuration et la diffusion de l'innovation interne. Il existe de nombreux rôles que le manager peut assumer sans avoir d'impact négatif sur son compte de résultat. Cependant, le premier maillon de la chaîne est l'intrapreneur.

Le parcours et la valeur de l'intrapreneuriat

On me demande souvent : « Mais pourquoi devenir intrapreneur ? C'est risqué, cela demande un investissement important, tout ça pour qu'au final le projet n'ait que 10 % de chances de réussir et 1 % de devenir immense. »

Alors, soyons honnêtes : oui, c'est difficile. Les meilleurs intrapreneurs que j'ai connus sont ceux qui n'attendent ni budget ni temps alloué pour commencer à agir. Il est toujours préférable de présenter ce que l'on a accompli avec peu de moyens pour montrer où l'on peut aller avec un budget, plutôt que de parler de ce que l'on aimerait faire si l'on avait de l'argent.

Mais l'issue du projet n'est pas tout ! Il y a d'importants impacts positifs à devenir intrapreneur.

L'expérience

Comme le dit Morpheus dans Matrix, « Il y a une différence entre connaître le chemin et parcourir le chemin ». C'est la même chose en intrapreneuriat. Vivre l'expérience de commencer, échouer, recommencer, refaire, défaire, se démobiliser, trouver des solutions et transformer les risques en opportunités, c'est comme un MBA accéléré.

Cette expérience aide à comprendre les défis beaucoup plus rapidement. Julie, une intrapreneure que j'ai accompagnée, n'a pas réussi son projet, mais grâce à son expérience, elle a changé de poste pour la direction de l'innovation et a contribué à lancer plusieurs projets à succès.

L'apprentissage

Dans cette expérience, votre courbe d'apprentissage est multipliée par dix, car la réalité vous rattrape rapidement. Je suis fan de "La Reine des Neiges 2", que j'adore regarder avec ma fille. Souvent, on pense qu'Elsa est l'héroïne, mais en réalité, c'est Anna, sa sœur. C'est elle qui résout les problèmes, apprend à conduire un traîneau, à chasser des géants de pierre, à s'échapper d'une grotte.

Maurice, que j'ai accompagné, a profité de cette approche : son projet n'a pas fonctionné, mais il a appliqué tout ce qu'il avait appris dans son métier. Avant, il avait du mal à vendre un produit. Grâce à nos échanges, il l'a vendu trois fois en trois semaines.

La valeur

Connaissez-vous l'art japonais du Kintsugi, qui consiste à réparer les objets cassés avec de l'or ? Cet art redonne énormément de valeur à un objet marqué par des cicatrices. Les intrapreneurs, avec leurs cicatrices issues de projets réussis ou non, sont précieux pour l'entreprise.

J'ai croisé la route de Zulfukar : son projet fonctionnait très bien avec son co-fondateur, si bien que le projet est sorti du groupe avec un investissement. Zulfukar a préféré rester dans le groupe tout en cherchant un autre poste.

Étant soutenu par un sponsor puissant, il a envoyé un mail à l’un des membres du COMEX de son entreprise, qui connaissait la valeur accumulée par Zulfukar. Le lendemain, il a reçu cinq appels de responsables des ressources humaines du groupe pour discuter d'une mobilité.

Conclusion : apprendre de l'échec

Pour finir, je ne vous ai pas encore tout dit sur mon premier business en tant que vendeur de canettes au lycée. Le projet a duré une semaine. Pourquoi ? Parce que chez l'épicier, les canettes n'étaient pas réfrigérées, donc personne ne voulait de mes canettes chaudes. Ce sujet est encore régulièrement évoqué par mes amis du lycée : « Hey, vous vous rappelez de Raph et ses canettes chaudes au lycée ? ». Ils rient, j’ai honte, puis je finis par en rire aussi !

Mais ce que j'ai appris ce jour-là était bien plus précieux que mes deux francs de bénéfice : j'ai appris à apprécier le goût de l'erreur, à savourer les ratures, car c'est là que réside l'innovation. C'est là que se trouve l'intrapreneur. Et, chères moyennes et grandes entreprises, vu le monde actuel et à venir, c'est clairement ce type de profil dont vous avez besoin : celles et ceux qui lancent de nouveaux projets qui sortent du cadre, et celles et ceux qui les aident à réussir.

Raphaël Thobie

Directeur Innovation

J'ai débuté ma carrière en tant qu'ingénieur en développement logiciel avant d'évoluer en chef de service en télécoms. Ma passion pour l'innovation m'a conduit à devenir intrapreneur, puis à lancer ma propre entreprise pour accompagner d'autres organisations dans leur innovation. Parallèlement, j'ai exploré divers domaines en tant que freelance, me plongeant finalement dans l'univers fascinant de la fintech, des NFT et du web3.

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